La harpe, un instrument… divin !
Elégante, raffinée, imposante, mystérieuse, onirique : quand il s’agit d’évoquer la harpe, les adjectifs sont légion et la fascination qu’elle exerce sur l’auditeur tient autant à sa carrure qu’à sa palette sonore magique et presque surnaturelle. De par ses origines qui se perdent dans la nuit des temps, elle est très certainement l’un des plus vieux instruments du monde et s’exprime dans des domaines aussi variés que le folklore, le répertoire classique occidentale, les musiques celtique et chinoise ou encore le jazz. Retour rapide sur cet instrument à codes pincées qui n’a cessé de se perfectionner malgré une histoire sinueuse.
Des origines très anciennes
C’est en Mésopotamie que l’on retrouve les traces les plus anciennes de la harpe sur des reliefs et des peintures datant de 3 500 ans avant notre ère. Elle est alors arquée ou angulaire. Vers le IIe siècle avant J.-C., elle apparaît en Grèce, puis dans l’Empire romain, en Inde et en Chine. A cette époque, on différencie la lyre et la harpe en raison de leur conception légèrement différente : la lyre possède des cordes de longueurs égales partant d’un même point de fixation alors que la harpe a des cordes parallèles de longueur inégale. Leur fonction est en revanche commune : communiquer avec les dieux et célébrer le culte, fonction qui se poursuit durant toute l’Antiquité.
Une parenthèse technique
Son entrée dans la sphère occidentale n’est pas renseignée précisément, mais il semble que l’Egypte, dès la VIe dynastie, ait eu des échanges commerciaux avec l’Irlande pour ses mines d’étain. Elle est également signalée au sud-est de l’Ecosse sur les pierres pictes aux alentours du IXe siècle après J.-C. A cette époque les harpes sont petites et facilement transportables. Sculptées dans un tronc de saule, elles possèdent entre 12 et 16 cordes que l’on pince avec les ongles. Alors que le chromatisme envahit peu à peu la musique, la harpe reste diatonique au Moyen-Age et à la Renaissance (rappelons-nous que Gargantua apprend à jouer de la harpe). Parallèlement, la naissance et le perfectionnement des instruments à clavier entraîne une désaffection de l’instrument.
Une invention majeure
Mais les luthiers italiens n’ont pas dit leur dernier mot : ils construisent la arpa doppia (harpe double), constituée d’une double rangée de cordes parallèles, qui se pose au sol et que l’on joue debout… celle-là même dont les sons enchanteurs feront fléchir le dieu Hadès dans l’Orfeo de Monteverdi.
En 1697, le luthier bavarois Jacob Hochbrücker imagine un mécanisme qui permet d’effectuer certaines modulations à l’aide de pédales. Cet instrument à simple mouvement est introduit en France en 1749 et devient un véritable instrument de salon, à la popularité duquel Marie-Antoinette a largement contribué : c’est probablement ce qui a créé ce cliché romantique (et un brin misogyne !) d’un instrument « féminin ».
Mais c’est au célèbre facteur de pianos Sébastien Erard que l’on doit la plus grande innovation : le système de fourchettes à double mouvement. Situées au bas de l’instrument sur le socle pour pouvoir être actionnées avec les pieds, les pédales (3 pour le pied gauche, 4 pour le pied droit) sont reliées à la partie supérieure de la harpe (console) par de longues tiges qui passent dans la colonne. Au sommet on trouve deux disques métalliques appelés fourchettes (qui doivent leur nom aux deux petits cylindres fixés dessus et que l’on nomme… des dents) qui tournent lorsqu’on actionne la pédale : la corde, bloquée entre les deux dents, se trouve ainsi raccourcie et on obtient un son un demi-ton plus haut. Les deux crans de la pédale permettent de jouer le bécarre et le dièse. Les facteurs de harpes continueront à perfectionner la mécanique de la harpe, notamment la famille Naderman, qui inventera une huitième pédale à l’instrument, permettant ainsi de modifier le volume et la couleur du son.
Ainsi pourvue de ses 47 cordes lui octroyant un ambitus de plus de six octaves, la harpe reprend des couleurs et peut ainsi rivaliser avec les autres instruments chromatiques. Après Mozart, qui compose en 1778 un unique concerto pour flûte et harpe (instrument… qu’il n’aime pas !), l’instrument est boudé par les compositeurs. Hector Berlioz sera l’un des premiers à le remettre à l’honneur dans ses œuvres, notamment dans le Bal de sa Symphonie fantastique. Saint-Saëns, Debussy, Ravel, Hindemith ou encore Caplet intégreront à leur tour des pièces pour harpe à leur corpus.
Pour son concert avec l’Orchestre de chambre de Paris, Xavier de Maistre a choisi le Concerto pour harpe de Boieldieu, l’un des fleurons du répertoire classique de la harpe : nul doute qu’elle sera… divinement mise en valeur, servie par l’un des (rares) dieux de l’instrument !