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Le Malade imaginaire

Représentation du Malade imaginaire de Molière, BnF
Le Malade imaginaire © BnF

Une comédie mêlée de musique et de danses

Au XVIIe siècle, théâtre, musique et danse étaient souvent étroitement mêlés. Molière lui-même magnifia l'association des trois arts en créant la comédie-ballet. A ce titre, Le Malade imaginaire, avec son prologue à la gloire du roi, ses trois intermèdes - celui de Polichinelle, celui des Mores et la cérémonie burlesque des médecins qui clôt le spectacle -, sans oublier le petit opéra que donnent Cléante et Angélique, est une de ses comédies-ballets les plus accomplies.

Portrait de Marc-Antoine Charpentier

Pour produire le spectacle, Molière dut même étoffer sa troupe, car la pièce nécessitait douze violons, douze danseurs, trois symphonistes et sept chanteurs. Il avait d'ailleurs dû se battre, l'année précédente, pour avoir le droit de donner musique et danse sur son théâtre au Palais Royal, face à son ancien compère Jean-Baptiste Lully, surintendant et compositeur de la musique du roi, qui, pressentant l'avenir prometteur de l'opéra, avait obtenu du roi le privilège d'établir une Académie royale de musique à Paris, accompagné d'une forte limitation de l'emploi de musiciens, de danseurs et de chanteurs sur les autres scènes. Entre les deux « Baptiste », qui avaient pourtant collaboré étroitement depuis Le Mariage forcé en 1664, ce conflit signifiait la rupture. Molière fit donc appel à un autre compositeur, Marc-Antoine Charpentier, tout en continuant à confier les ballets à Pierre de Beauchamps, son collaborateur de longue date. 

Un interêt pour la musique inégal au fil du temps

A l'époque, les intermèdes avaient leur part dans le succès de la pièce auprès du public, qui appréciait autant les parties chantées et dansées que l'étude de caractère. La Grange et Armande Béjart, la femme de Molière, en particulier, se taillèrent un beau succès, sur le théâtre Guénégaud, dans le duo de Cléante et d'Angélique. L'engouement du XVIIIe siècle pour la musique, malgré une certaine désaffection pour Molière, explique que, jusqu'à la période romantique, les intermèdes aient fait partie intégrante du spectacle. En revanche, au XIXe siècle, les divertissements furent progressivement abandonnés. Seule subsistait la cérémonie des médecins lors de la célébration de l'anniversaire de Molière, le 15 janvier, pratique légitimée et magnifiée par le développement des études moliéresques. Les tentatives pour « restaurer » la musique de Charpentier restèrent isolées. En 1851, Jacques Offenbach, directeur de la musique de la Comédie-Française, composa une ouverture. La nouvelle orchestration qu'A. Roques fit en 1860 pour la Comédie­-Française fut sans doute la plus complète ; mais les divertissements étaient généralement considérés comme artificiellement juxtaposés à la comédie dont ils cas­saient le rythme.

Armande Béjart (vers 1640-1700) par Nicolas Mignard

 

Un renouveau au XXe siècle

Il fallut attendre 1944 et la mise en scène de Jean Meyer pour que soient réintroduits les intermèdes, notamment celui de Polichinelle qu'incarnait Jean-Louis Barrault. La musique, inspirée de Charpentier, avait été écrite par André Jolivet, directeur de la musique de la Comédie-­Française. Le renouveau des divertissements ne fit pas l'unanimité. La critique fut de nouveau partagée en 1958 sur les ballets de la mise en scène de Robert Manuel. Ils furent supprimés dès 1960, malgré une partition de Georges Auric, que son travail pour le ballet des Fâcheux en 1924 avait contribué à faire connaître. En 1971, Jean-­Laurent Cochet transforma le prologue en une étonnante scène muette entre Toinette, Françoise Seigner, et Argan, Jacques Charon, qui se réveillait en bougonnant. La pièce s'achevait avec le Ballet des microbes et Thomas Diafoirus et les lutins, sur une musique d'Emile Magne.

Place doit être faite à la mise en scène de Jean-Marie Villégier et Christophe Galand en 1990 au Théâtre du Châtelet. A cette occasion, William Christie et les Arts Florissants interprétèrent la totalité des intermèdes dans leur version originale, grâce à la redécouverte par un chercheur américain à la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française des parties manquantes de la musique de Charpentier. Le public parisien put ainsi se faire une idée du spectacle complet de la création du Malade imaginaire. 

La mise en scène de J. M. Villégier, 1990 © BnF

 

Un futur sociétaire de la Comédie­-Française, Jean Dautremay, et une ancienne sociétaire, Christine Murillo, y incarnaient Argan et Toinette. Cette reconstitution voulait montrer que l'intrigue de la comédie et les sujets des ballets sont habilement liés et que le prologue et les intermèdes « dessinent un autre plan de réalité, un autre étage, un grenier de l'imaginaire, qui est en rapport profond avec l'étage apparemment plus réel où se situe la comédie ».

Le parti de Gildas Bourdet en 1991 à la Comédie-­Française fut tout autre. Dans une version totalement revue de la pièce, dans un esprit loufoque, il choisit de souligner les entrées et les temps forts du spectacle - sans prologue, ni intermèdes - en insérant librement dans le cours de la pièce une musique de scène, mélange d'inspirations baroques et de sonorités contemporaines, composée par Angélique et Jean-Claude Nachon.

Marc-Olivier Dupin © Axel Saxe

 

La composante musicale et chorégraphique de la comédie­-ballet ne laisse donc plus aujourd'hui indifférents les metteurs en scène, et écrire une nouvelle partition pour Le Malade imaginaire relève, comme le pensaient Angélique et Jean-Claude Nachon, du défi, défi relevé par Marc-Olivier Dupin en 2001 pour la mise en scène de Claude Stratz. Il compose une musique sous l'influence de la commedia dell'arte, un choix qui n'aurait pas déplu à Molière, lui qui a si longtemps partagé son théâtre avec les Comédiens-Italiens.

Texte de Joël Huthwohl 
Directeur du département des arts du spectacle à la Bibliothèque nationale de France

 Le Malade imaginaire, du 21 décembre au 7 janvier 2024