Publié le 12/12/2025
Publié le 12/12/2025
Imaginez un peu : faire naître, de rien, une œuvre.
Depuis la rentrée 2025, le Théâtre des Champs-Élysées propose une nouvelle série de podcasts autour du processus créatif dans la composition. Compositrices et compositeurs se confient à notre micro : comment naît une oeuvre ? D'où vient l'inspiration ? Quels sont les secrets du métier ?
Cet épisode avec Aníbal Vidal est le troisième de la série - le premier en anglais. Le compositeur est le lauréat du troisième Prix Pisar. Sa pièce pour orchestre The Language that all Things Speak a été créée le vendredi 14 novembre 2025 par Les Siècles, sous la direction d'Antonello Manacorda.
Vous trouverez ci-après la transcription en français du podcast. Il est recommandé néanmoins de l'écouter, même en anglais, pour entendre les extraits des œuvres mentionnées ainsi que la personnalité chaleureuse du compositeur.
Bonne écoute !
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TRANSCRIPTION EN FRANÇAIS
Imaginez un peu : créer de la musique à partir de rien... Ou à partir de n'importe quel instrument à disposition.
Dans cette série sur le processus créatif dans la musique, les compositeurs et compositrices nous révèlent leurs secrets. Qu'est-ce qui les inspire ? Qu'est-ce que l'inspiration, d'ailleurs ? Comment naît une pièce ?
Dans cet épisode, le compositeur chilien Aníbal Vidal nous ouvre les portes de son processus unique.
ANIBAL : Bonjour, je m'appelle Aníbal Vidal, je suis un compositeur chilien, basé à Londre. Ma carrière est en lien notamment avec la musique en concert, mais aussi la musique de films ou de médias. Ces dernières années, j'ai travaillé avec différents ensembles, des orchestres basés au Royaume-Uni, en Europe, en Asie et aux États-Unis. Cette année, j'ai eu le plaisir d'avoir une œuvre jouée à Singapour, et de faire une résidence artistique à la Juilliard School of Music à New York.
À présent, je m'apprête à créer une nouvelle pièce orchestrale, ici au Théâtre des Champs-Élysées.
TCE : Avez-vous toujours voulu être compositeur ?
ANIBAL : Je ne suis pas sûr pour compositeur, mais un créatif, oui. En tout cas, raconter des histoires. Quand j'étais petit, avec mes jouets, je créais des histoires qui pouvaient durer des mois ! Et j'adorais les développer. Donc je pense que mon côté compositeur vient de là, du fait de raconter des histoires. A un moment, on m'a donné une guitare et j'avais toujours envie d'écrire des chansons. Le côté compositeur classique est venu plus tard dans ma vie. D'abord, pendant l'adolescence, je voulais écrire des chansons.
TCE : Vous en écrivez toujours ?
ANIBAL : Non, malheureusement cette partie de ma vie s'est éteinte. Mais de temps à autre, pour moi-même, j'aime écrire un peu de poésie.
TCE : Et des histoires, toujours ?
ANIBAL : Oui, oui... De courtes histoires. Ou des pensées, des réflexions. Mon appli de notes dans mon téléphone est remplie de collections de différentes choses. Et en tant que compositeur j'aime beaucoup utiliser du texte. D’une certaine façon, quand j’utilise du texte ou même juste la voix humaine sans langage, je sens que ça rend ma musique moins abstraite. Ca me plaît car j’aime me sentir plus connecté au public, partager un imaginaire avec lui. Je pense que le texte permet de mieux définir le territoire.
TCE : Êtes-vous plus à l’aise à composer de la musique tonale ?
ANIBAL : [rires] Non, non, pas forcément. Parfois je compose dans des gammes diatoniques, mais dans les pièces, la tension entre le tonal et le chromatique me plaît. J’aime cette dispute des énergies.
TCE : Quand vous composez, qu’est-ce que vous entendez en premier ? La mélodie ?
ANIBAL : Oui je suis plus guidé par la mélodie. Je pense que c’est lié à là d’où je viens, ces chansons que j’écrivais adolescent justement. J’entends des mélodies, en tout cas des mouvements. Par exemple, quand je commence à composer, j’essaye des choses avec divers instruments. J’ai une collections de choses à la maison, j’en joue mal, mais je les ai pour essayer des choses. Et parfois, je suis totalement guidé par le geste créé par l’instrument. Parce que j’aime bien traiter les instruments comme si j’étais un enfant approchant tout avec émerveillement et étonnement. Comme je ne sais pas en jouer, pour moi ce sont des objets qui font des sons. Donc ça me rend très curieux de voir quels sons je peux en extraire de moi-même avec mes capacités. C’est souvent ça les premières idées de mes compos.
TCE : Vous rappelez-vous la toute première chose que vous ayez composée ?
ANIBAL : C’était sûrement une chanson quand j’avais une dizaine d’années. Je ne pense pas m’en souvenir, ça devait copier autre chose. Mais à coup sûr, ça a nourri ma soif de créer, il y a quelque chose à extérioriser qui ne m’a pas quitté depuis.
La première fois qu’une de mes pièces a été jouée dans un contexte classique, c’était à Santiago. Je me sentais inexpérimenté, comme mon parcours musical, mon bachelor notamment, était en musique populaire avec un focus sur la musique latino-américaine et le jazz – je fais moi-même de la guitare. J’en suis arrivé je ne sais comment à être curieux au sujet de la composition contemporaine. J’ai tenté, j’ai été pris ! J’étais entouré de gens avec des parcours très classiques. Ma première pièce a été jouée, je me suis senti très à nu mais ça a été suffisamment bien reçu pour me donner envie de continuer.
TCE : Quels sont vos outils pour écrire ?
ANIBAL : J’aime écrire avec crayon et papier, les premières parties. J’aime la liberté du papier. On écrit ce qu’on veut, on structure comme on le souhaite contrairement à quand on utilise un logiciel. J’ai toutes sortes de tailles de carnets de papier à musique : des petits dans les poches, des carnets de notes, des grands pour les pièces d’orchestres. Je suis toujours prêt si j’ai besoin de noter quelque chose. J’en ai un dans mon sac, là. Ensuite une fois que tout est écrit et me semble solide, je passe à l’édition sur logiciel.
Quand je fais des essais avec de nouveaux sons, je vais m’enregistrer jouant toutes sortes d’instruments. Là en revanche, je les importe dans un logiciel.
TCE : Composez-vous dans l’ordre chronologique des œuvres ?
ANIBAL : Bonne question… Je pense que oui. Ce n’est pas le plus efficace, je pense que beaucoup de compositeurs commenceront par des parties intermédiaires puis ajouteront ce qui vient après, ce qui vient avant. Pour moi, c’est primordial de savoir comment ça démarre et comment ça termine. C’est toujours plus facile de démarrer que de finir d’ailleurs. Terminer quelque chose, dans la vie en général, est toujours plus difficile. Comme les relations d’ailleurs ! C’est plus facile de démarrer une relation qu’en terminer une. Je pense que c’est pareil quand on écrit un film, un livre…
TCE : Comment savez-vous quand une œuvre est terminée ?
ANIBAL : Je dis toujours que composer c’est comme un sudoku abstrait. A la place des nombres, on a des sons. Et il n’y a pas de bonne ou mauvaise solution. Ce sera selon comment, émotionnellement, on ressent les choses. C’est comme ça que j’aime finir les œuvres : quand je me sens en paix, satisfait – pas résolu, parce qu’il n’y a rien à résoudre, mais en tout cas le message est transmis.
TCE : À propos d’émotions, que se passe-t-il dans votre tête et votre cœur lorsque vous entendez votre œuvre jouée pour la première fois ?
ANIBAL : je me sens fortement mis à nu. C’est si intime ! On passe tant de temps seul avec la musique, on la connaît sur le bout des doigts, mais à ce moment, cette chose qui était nôtre s’externalise et on partage cet objet émotionnel avec beaucoup d’autres gens. Après, bien sûr, si ça se passe bien c’est très satisfaisant. Mais si ce n’est pas parfait, on se sent juste exposé.
TCE : Avez-vous des proches à qui vous aimez confier la première lecture de votre œuvre ? Appréciez-vous qu’on vous fasse des retours ?
ANIBAL : C’est important, ça. Quand on est étudiant, cette personne est toujours notre professeur. Mais à un moment, il faut lâcher et devenir son propre juge. Ces derniers temps je n’ai rien confié à personne. Les premiers à entendre mes pièces étaient les ensembles qui les avaient commandées. Maintenant que vous le dites, peut-être que je devrais ! Peut-être qu’il arrive, lorsque j’ai des amis parmi les artistes qui les joueront, que je leur envoie la partition en amont, et là ils peuvent commenter, éventuellement. Mais je pense qu’il ne faut pas partager avec trop de monde dans tous les cas, sinon on s’y perd.
TCE : Quelle serait votre commande idéale ?
ANIBAL : Pour en revenir à mon envie d’utiliser du texte dans la musique, pour moi ce serait un opéra ou un oratorio avec orchestre symphonique. Ce serait à coup sûr mon scénario idéal, un qui me rend impatient !
TCE : Quelles sont vos influences musicales ?
ANIBAL : Je pense que pour tout le monde, c’est une collection de petits bouts aléatoires collectionnés au cours d’une vie, consciemment et inconsciemment. Consciemment je peux vous dire, mes influences majeures ont été, pour le côté émotionnel, les auteurs-compositeurs latino-américains ou de musique traditionnelle. Je suis tellement touché par la poésie de chanteurs et chanteuses comme Violeta Parra du Chili, Caetano Veloso du Brésil, Simon Diaz du Vénézuéla… Ca c’est pour mon côté émotionnel, le plus fort lorsque je compose, notamment les mélodies. Et pour le côté inconscient, j’ai récemment réalisé que toute cette musique mélodramatique qui passait à la radio dans les années 90, comme Luis Miguel ou Juan Gabriel. Ca s’est ancré en moi, le point auquel ils sont théâtraux et mélodramatiques. J’aime écrire des choses similaires, notamment dans la mise en scène des émotions et du Drama. Vous voyez les télénovelas latino-américaines ? Quelque chose comme ça mais en version musicale.
TCE : Une question qui me passionne particulièrement, avez-vous déjà composé pour chœur ?
ANIBAL : Récemment, j’ai écrit une sorte de cantate de 30 minutes pour 16 chanteurs a cappella, pour les Carice Singers. Ca a été bien reçu, il me semble. J’ai été personnellement très satisfait du résultat. Ca raconte l’histoire de la Création du monde, mais pas de façon religieuse, plutôt de façon séculaire, presque payenne. Ca mélange la mythologie, les cultures. Là à nouveau, c’est la mise en scène du Drama qui m’a attiré. C’était une première partie, nous espérons en créer la seconde partie dans les années à venir. C’est donc pour 16 chanteurs mais je leurs fais utiliser toutes sortes d’instruments avec leurs pieds ou leurs mains, même des sifflets ou autres, donc c’est pas entièrement a cappella. C’est attractif visuellement aussi, comme ils jonglent avec tout ça.
TCE : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui ne trouve pas l’inspiration ?
ANIBAL : Ce qui a marché pour moi, c’est d’abandonner l’idée. Il faut la laisser, en démarrer une autre, voir où ça nous mène en quelques jours. Après, ça dépend, parfois on est bloqué par les délais courts et c’est la pression qui coupe l’inspiration. Mais si on a le temps, il faut tenter autre chose. Sinon, en général, il faudrait continuer d’en baver ! Continuer, continuer, jusqu’à ce que ça devienne facile.